L'évolution de la sociologie du travail
La sociologie des professions
En marge de la sociologie du travail, qui tente de rendre exclusivement du travail et des conditions dans lesquelles il est effectué, émerge une sociologie des professions, qui déplace les enquêtes sur le travailleur. Les premiers sociologues à s’intéresser aux professions se situent dans une perspective structuro-fonctionnaliste. D’autres sociologues, qui s’appuient sur une démarche interactionniste, mettent rapidement en avant les limites des travaux des structuro-fonctionnalistes et l’intérêt à privilégier un point de vue constructiviste dans l’approche des professions.
L’analyse structuro-fonctionnaliste ou substantialiste des professions
L’analyse sociologique sur les professions débute dans les années 1920 avec les travaux d’auteurs américains. Selon A. M. Carr-Saunders et P. A. Wilson (The Professions, 1933), le professionnel, qui est ni un ouvrier ni un capitaliste mais celui qui dispense un service, n’est pas soumis à un client. Il est détenteur grâce à ses connaissances d’un pouvoir qui lui permet de disposer d’une autonomie relative, comme c’est le cas du médecin avec son patient.
Quelques années plus tard, Talcoot Parsons s’intéresse à son tour à la pratique médicale. C’est à partir d’une étude sur la relation entre le médecin et son malade que le sociologue américain structuro-fonctionnaliste définit ce qu’est une profession. Elle repose ainsi sur quatre variables :
• La possession d’un savoir pratique rationnel qui est le résultat d’un apprentissage scolaire et scientifique et s’oppose à un savoir tradition.
• La détention d’une compétence technique spécifique distincte d’une compétence qui se diffuse. Elle établit une différence entre ceux qui la possèdent (les professionnels) et ceux qui ne la possèdent pas ;
• L’objectif de parvenir à l’élaboration et au renforcement de valeurs universelles et non pas particularistes ;
• La recherche d’une attitude affectivement neutre.
Par sa dimension restrictive, Talcoot Parsons n’applique cette définition des professions qu’à un nombre limité de secteurs d’activité. En l’occurrence, il désigne comme étant des professions à part entière la médecine, le droit, la recherche et l’enseignement. Pour le sociologue, les professions occupent une fonction centrale dans la société industrielle moderne. Elles remplacent en fait la bourgeoisie capitaliste des XVIIIe et XIXe siècles dans son rôle économique et politique de structure dynamique. Elles ont aussi une fonction « morale » : « Dans une société où dominent la compétition et le profit, elles témoignent en faveur de l’esprit de désintéressement ; elles sont les gardiennes privilégiées d’une importante part de l’héritage culturel ; elles constituent des mécanismes de contrôle social soit par la socialisation qu’elles assurent, soit par les correctifs qu’elles apportent »™.
La profession médicale, qu’il étudie de manière approfondie (llness and The Rôle of The Physician, 1951 ; Some Trends of Change in American Society : Their Bearing on Médical Education, 1958) participe selon lui dans ce sens à la stabilisation du système dans sa globalité. Il montre que « le rôle du médecin est déterminé par les valeurs suivantes des variables structurelles : universalisme, performance, spécificité et orientation dans les collectivités » . Il rappelle aussi que la relation entre le médecin et son patient est un système d’action dont la stabilité dépend de la manière dont l’un et l’autre remplissent respectivement leurs tâches. Si le malade peut faire part à son médecin de ses souffrances, celui-ci ne peut les entendre qu’à condition qu’il reste neutre et ne dévoile pas les secrets de sa compétence particulière. Et s’il l’écoute, c’est par respect des principes d’universalité et pour préserver sa performance.