Les partis politiques
Les premiers travaux sur les partis politiques au début de XXe siècle
Les premiers travaux sur les partis politiques datent du début du XXe siècle au moment même où les démocraties parlementaires, à l’intérieur desquelles les partis politiques occupent une place centrale, s’établissent dans les pays occidentaux. Ils sont l’œuvre successivement de Moisei Ostrogorski, de Roberto Michels et de Max Weber. Moisei Ostrogorski dans La Démocratie et l’Organisation des partis politiques (1902), s’attache à dénoncer la manière dont les partis politiques, aux Etats-Unis et en Angleterre, ne sont que des machines à gagner des voix, dirigées par des élus toujours choisis par la direction du parti politique et jamais par la base, niant ainsi systématiquement la souveraineté populaire. Roberto Michels, dans Les Partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties (1911) énonce la « loi d’airain de l’oligarchie ». Il montre qu’à l’intérieur des partis, les professionnels concentrent entre leur main le pouvoir effectif et disposent de la capacité de décision qui échappe finalement au contrôle des simples adhérents. Quant à Max Weber, il appréhende, dans Economie et société (1921) le parti politique comme une sociation.
Avec ces travaux, fondés pour les deux premiers auteurs sur la dénonciation de l’illusion démocratique entretenue par la démocratie représentative, se profilent déjà les fondements d’une sociologie politique des partis politiques.
Le développement des études sur les partis politiques à partir des années 1950
Toutefois, les études sociologiques sur les partis politiques ne se développent véritablement qu’à partir des années 1950. Le politiste Frédéric Sawicki dans le cadre d’un travail consacré au parti socialiste (Les Réseaux du parti socialiste. Sociologie du milieu partisan, 1997), met en évidence d’une part une structuration des analyses entre deux pôles, l’un privilégiant la dimension sociétale et l’autre la dimension organisationnelle, et d’autre part la tendance actuelle des travaux français dont l’ambition est de dépasser cette opposition.
L’analyse sociétale des partis politiques
L’analyse sociétale se donne pour objectif, dans une perspective d’histoire et de politique comparées d’appréhender la constitution des clivages politiques et la façon dont ils sont retraduits à l’intérieur
Le parti politique comme association complexe de groupements partiels en interaction Jacques Lagroye considère le parti politique comme une association complexe de groupements partiels en interaction46. Cette perspective permet au politiste de dépasser une approche substantialiste du parti politique et de l’inscrire dans le social.
Le parti politique avec à sa base des groupements partiels en interaction
Un parti politique n’est jamais un tout homogène. Les marques qui le désignent, sous forme de sigles (UMP, PS, UDF, FN…), masquent la diversité des groupements partiels qui en constituent la base.
Jacques Lagroye identifie tout d’abord ces groupements partiels à l’intérieur du parti politique aux adhérents, qui se réunissent dans un courant, une tendance, une mouvance. Il tente ensuite d’appréhender la manière dont les groupements partiels se démarquent dans la compétition partisane.
Le politiste observe alors qu’il n’est pas possible d’expliquer la constitution d’un groupement partiel uniquement par la compétition à laquelle il se livre pour l’obtention des postes de pouvoir dans le cadre du parti politique stricto sensu. Le groupement n’apparaît et ne se développe que si les membres qu’il regroupe partagent des perceptions identiques de la société, elles-mêmes liées aux caractéristiques sociales de ces derniers. Jacques Lagroye apporte ici une réponse extrêmement novatrice : loin des visions économistes et utilitaristes, il met en évidence que les clivages partisans renvoient aussi aux rapports sociaux dans leur globalité. Ainsi, les luttes à l’intérieur d’un parti politique ont toujours pour but, pour ceux qui s’y consacrent, non seulement d’accéder aux positions dominantes mais aussi et peut-être surtout d’imposer leur vision du monde social.
Le parti politique comme association complexe de groupements partiels
Un parti politique est aussi une association complexe de groupements partiels. Jacques Lagroye tente de saisir ici les ressorts du travail d’homogénéisation que les membres du parti politique (dirigeants, militants) sont amenés à réaliser afin de le présenter sous une unité apparente. Ce travail est le résultat du degré d’institutionnalisation du parti politique qui se mesure :
• par l’existence de symboles matériels (drapeaux, logos), de lieux physiques (le siège du parti, la permanence d’une section locale ou d’une fédération), plus généralement d’une histoire qui s’inscrit dans des choses matérielles ;
• par la façon dont les hommes ou les femmes politiques revendiquent leur appartenance à l’organisation partisane et la font vivre dans leurs discours. C’est par exemple François Mitterrand qui à la fin de l’année 1991 pouvait affirmer au lendemain d’un congrès extraordinaire du parti socialiste, alors que sa popularité et celle d’Edith Cresson étaient au plus bas dans les sondages : le parti socialiste « n’est pas à bout de souffle mais au terme d’une étape. Les socialistes n’ont pas envie de passer le témoin à d’autres partis politiques » ;
• par la reconnaissance par les hommes ou les femmes politiques d’autres partis politiques dans la compétition qu’ils se livrent pour accéder au pouvoir. Les politistes Guy Birenbaum et Bastien François, dans Le Front national joue les ambiguïtés, rappellent ainsi que « la crédibilisation du Front national doit beaucoup (…) aux multiples opérations de dénonciation dont il fait l’objet et qui parce qu’elles ne considèrent pas son statut de concurrent et qu’elles n’en font pas un phénomène hors-jeu, ont pour effet de transformer le « trouble-fête » extrémiste en adversaire par rapport auquel chacun des compétiteurs doit prendre position » .