Problèmes de transport : Le train et la mouche
Je suis poursuivi depuis que je suis tout petit par la question suivante : une mouche vole vers un train en marche. Elle entre en collision avec le train. Sa direction change alors de 180° puisqu’elle s’écrase sur le pare-brise. À l’instant précis du changement de direction, on peut donc considérer que la mouche est immobile, et que le train est lui aussi immobile. Une mouche peut donc arrêter un train. Où se trouve le défaut du raisonnement ?
Vous avez raison: la mouche arrête le train, mais pas tout le train, seulement la petite zone de contact et encore, pas pour très longtemps.
Tout objet, aussi rigide soit-il. a une certaine flexibilité.
Quand le pare-brise du train est heurté par la mouche, il subit un (minuscule) effet de recul. Il y a donc bien un arrêt de cette partie-là du train, malgré la grande rigidité du pare-brise.
La force exercée par la mouche sur le pare-brise est égale à celle qu’exerce le pare-brise sur la mouche – et elle est grande. Appliquée à la minuscule masse de la mouche, elle provoque une accélération intense: la vitesse de la mouche passe de zéro à celle du train pendant le temps nécessaire à la déflexion du pare-brise.
Une fois que la mouche est à la vitesse du train, le pare-brise revient à son emplacement initial. En fait,cela se fait si rapidement que le pare-brise dépasse un peu cette position et se met à vibrer jusqu’à retrouver sa forme normale. Cette vibration génère un son, parfaitement audible chaque fois qu’un insecte heurte le pare-brise.
Ce schéma simple est un peu compliqué par l’écrasement du corps de la mouche et l’inertie du verre, mais il montre bien quels principes physiques sont mis en jeu.
Votre lecteur a raison de dire qu’à un moment donné la mouche est immobile. Mais à ce moment-là, la mouche n’est pas collée sur le pare-brise.
Dès que le pare-brise touche l’avant de la mouche (en négligeant la lame d’air sous pression qui est poussée à l’avant du pare-brise), cette dernière est accélérée dans le sens de la marche. Pendant le temps, très bref mais non nul, que met le train pour parcourir une distance égale à la longueur du corps de la mouche, la mouche est comprimée et accélérée. Ainsi, au moment où la mouche est immobile, 10% peut-être de sa masse s’est écrasé sur le pare-brise. La vitesse du train lui- même n’a pas varié. Dès que le train a rattrapé l’arrière de la mouche, soit 2 dix millièmes de seconde à 200 km/h, la mouche, aplatie sur le pare-brise, a pris la vitesse du train.
D’un point de vue plus savant, on pourrait ajouter que la conservation de la quantité de mouvement fait que le train ralentit légèrement, mais il retrouve vite sa vitesse initiale. La inouehe, qui passe de 0 à 200 km/h en un centimètre, subit une accélération de 30000 g ( 1 g est l’accélération de la pesanteur terrestre). Quant au pare-brise, il subit une force de 300 newtons, l’équivalent d’un poids de 30 kilos.
Quand le train heurte la mouche, les premiers nanomètres (millionièmes de millimètre) du pare-brise subissent un arrêt momentané; les quelques nanomètres suivants subissent une déformation élastique, et le reste du train continue à pleine vitesse.
Après l’impact, la partie comprimée du pare-brise retrouve sa forme initiale, ce qui n’est pas le cas de la mouche.
En toute rigueur, une onde de choc élastique se propage vers l’arrière dans tout le train, et la face avant oscille jusqu’à ce que le mouvement s’arrête, mais, dans le cas d’une mouche, ces effets sont totalement négligeables. Si l’on remplace la mouche par une voiture, les effets de Fonde de choc seront plus facilement visibles.
Toutes ces explications font intervenir beaucoup de facteurs-, comme la longueur de la mouche ou l’élasticité du pare-brise, mais elles ne répondent pas, à mon sens, à la question, qui est plus philosophique que physique. Remplacez «mouche» par «un atome de la mouche», et vous revenez au vieux paradoxe énoncé par Zénon d’Elée en 450 av. J.-C-
Zénon expliquait qu’un objet en mouvement peut toujours être considéré comme immobile, pendant un instant infiniment petit. Le problème est que nous ne sommes pas davantage capables de concevoir un instant infiniment petit que de concevoir l’infini !