Les transformations de l'organisation du travail dans la société industrielle: évolution de l'organisation du travail depuis les années 1960
Le taylorisme
Frédéric Winslow Taylor prête son nom à l’une des théories du travail les plus connues: le taylorisme. Né en 1856 à Germantown (Etats-Unis), il débute ses études à l’université de Harvard puis les arrête pour intégrer la Midvale Steel Company comme apprenti, pour finir, à 28 ans, par devenir ingénieur. En 1890, il décide de quitter l’usine et monte sa propre entreprise en tant qu’ingénieur-conseil. C’est là qu’il pose les principes de sa « philosophie ». Taylor part du constat, à partir de ses expériences en usine, que durant de nombreux laps de temps les ouvriers ne sont pas occupés à travailler (lesquels n’auraient pas d’intérêt particulier à se forcer) et peuvent en conséquence faire fluctuer la productivité dans de larges proportions. Il s’interroge sur les raisons qui permettent à cette situation d’exister. Il s’aperçoit alors qu’elle n’est pas due à la paresse des ouvriers ou à des causes psychologiques mais à la mauvaise organisation du travail mise en place par la direction de l’entreprise.
Pour y remédier, F. W. Taylor propose de « rationaliser » le travail, c’est-à-dire d’avoir recours à un ensemble de méthodes qui se veulent la production et d’aboutir à une productivité maximale. La démarche élaborée aboutit ainsi à une nouvelle organisation du travail qui repose sur deux principes étroitement liés mettant en place une division des tâches.
• A un niveau horizontal : chaque ouvrier est affecté à une tâche précise préalablement définie qu’il doit exécuter le plus rapidement possible ;
• A un niveau vertical : les employés de l’usine sont différenciés entre ceux qui organisent le travail (les « cols blancs ») et ceux qui exécutent le travail tel que les premiers l’ont voulu (les « cols bleus »).
La nouvelle organisation du travail, qualifiée d’organisation scientifique du travail (OST), est celle qui doit s’imposer à tous. Elle est selon F. W. Taylor la « one best way » (« la meilleure et unique voie à suivre »). Pour la soutenir, F. W. Taylor propose également de récompenser les ouvriers qui se révéleront être les plus productifs par des augmentations de salaires substantielles afin d’entraîner tous les autres à faire de même. Et, si les entreprises se soumettent à ces évolutions, les mouvements de contestation à l’intérieur de celles-ci devraient s’estomper puisqu’ils ont pour origine une mauvaise organisation du travail.
Le taylorisme peut se diffuser à la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis uniquement parce qu’il apparaît au moment même de l’arrivée massive d’émigrés venus d’Europe, qui sont autant de travailleurs sans qualification prêts à accepter les conditions du marché du travail.
Le fordisme
Les usines de construction automobile d’Henry Ford, installées à Détroit aux Etats-Unis, sont parmi les premières où les principes de la « philosophie » taylorienne sont généralisés. Comme le rappelle Marcelle Stroobants1, la première chaîne de montage automobile apparaît en 1913. La fabrication d’une voiture est alors découpée en 45 opérations qui correspondent chacune à une tâche demandée à un ouvrier : « Celui qui met une pièce en place n’est pas celui qui l’assujettit… Celui qui pose l’écrou ne le serre pas »2. Les résultats de ces transformations sur la production sont probants. Sur une période de quatre ans, elle est multipliée par dix. Elles permettent aussi d’être plus compétitif et de baisser de moitié le prix d’achat d’une voiture.
Henry Ford, en plus d’approfondir [‘organisation scientifique du travail, apporte une réelle innovation. Il estime nécessaire non plus uniquement d’augmenter la production mais aussi de soutenir la demande. Il répond à ce dernier objectif par la réduction du prix de vente des voitures, rendue possible précisément par une meilleure productivité, et par une augmentation de salaire de ses propres ouvriers afin de leur permettre d’acheter le fruit de leur travail. Ainsi, c’est à la fois l’instauration du travail à la chaîne, qui est un moyen de diminuer le coût de revient de la production et de faire des économies d’échelle, et la mise en place d’une politique salariale plus avantageuse, avec le principe du « 5 dollars per day » (« 5 dollars par jour ») pour chaque ouvrier, qui vont encourager la croissance.
Les économistes ont parlé dans ce sens de cercle vertueux de la croissance fordiste : la hausse de la productivité, qui est le résultat de l’augmentation du nombre de quantités produites en des temps plus courts, est un moyen de financer la demande par une augmentation du pouvoir d’achat, qui en retour encourage la croissance par une consommation accrue.
Le fordisme se généralise à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale dans l’ensemble des pays industrialisés. En France, c’est le début de la période désignée comme celle des « trente glorieuses », marquée par une productivité en augmentation constante avec un pouvoir d’achat accru et l’apparition de la société de consommation de masse.
La remise en cause du taylorisme et du fordisme
Mais à partir des années 1960, le taylorisme et le fordisme montrent leurs limites tant sur un plan économique que social.
La rigidité de ces modes d’organisation, qui reposent sur une structuration hiérarchique très dense et le recours à une main-d’œuvre peu qualifiée, n’est plus en adéquation avec le niveau de formation des travailleurs qui ne cesse de s’élever. Ces derniers revendiquent une maîtrise plus grande sur leur travail et la manière dont ils l’exécutent. Des comportements antagoniques à la logique productiviste formiste prennent corps à l’intérieur des entreprises où l’absentéisme, la baisse de la qualité des produits ou encore le turn-over tendent à se multiplier. Mais plus encore, c’est le ralentissement de l’activité qui contraint les directions des entreprises à questionner et à remettre en cause leur mode d’organisation. La production de masse s’accorde mal avec l’évolution de l’attitude des consommateurs qui sont plus enclins à rechercher une forme de distinction dans les biens achetés, d’autant plus qu’ils occupent des positions élevées dans la hiérarchie sociale et possèdent consubstantiellement un fort pouvoir d’achat. Les entreprises se retrouvent alors dans l’obligation de se restructurer pour répondre à la recherche de produits de qualité fabriqués en petite quantité et à une demande qui change très rapidement avec l’accroissement des effets de mode.
Le toyotisme
Le toyotisme ou « ohnisme » est fondé au début des années 1960 par le Japonais Taïchi Ohno, vice-président du constructeur automobile Toyota. Il se distingue des schémas précédents, son objectif étant de s’adapter aux évolutions des besoins des marchés. Il s’agit de lancer la production à l’instant où la demande est formulée et non plus, comme dans le fordisme, de soutenir la demande pour écouler la production. Cette nouvelle logique de production entraîne une nouvelle forme d’organisation du travail. Le principe du « juste-à-temps » en constitue la base et repose sur le respect des cinq zéros :
• Zéro stock : aucun produit ne doit rester stocké durant une longue période dans les locaux de l’entreprise car le coût de ce stockage est trop élevé à cause de la présence d’un emplacement et le gardiennage qu’il nécessite. Si les employés veulent des pièces ou des matières premières, ils les commandent au moment même où ils en ont besoin ;
• Zéro panne : les machines utilisées doivent faire l’objet d’un entretien permanent afin de ne jamais tomber en panne. C’est dire l’importance de l’investissement dans des machines hautement fiables
• Zéro défaut : la qualité est une obligation absolue pour Taïchi Ohno. Les produits et les services offerts ne doivent pas présenter de défauts sous peine de rendre les clients insatisfaits et de les voir faire jouer la concurrence pour trouver auprès d’autres fournisseurs ce qu’ils recherchent ;
• Zéro délai : l’entreprise doit être en mesure non seulement de limiter au maximum les délais entre le moment où le produit est commandé et sa distribution aux clients mais aussi de s’adapter en des temps les plus courts possibles à une modification de la demande ;
• Zéro papier : la baisse des coûts de production passe aussi par les économies sur le fonctionnement pratique des activités de bureau. Il s’agit ainsi pour Taïchi Ohno d’éliminer ce qu’il désigne être de la paperasserie.
Par la suite, le toyotisme tend à s’étendre à d’autres pays. En occident, des tentatives sont menées pour importer ce nouveau modèle d’organisation du travail. Sans être généralisé, il inspire de nombreuses directions à transformer le fonctionnement de leurs entreprises.
Il s’agit notamment d’accorder une attention plus grande à la qualité, du contrôle des produits finis à la prévention de l’apparition de leur non-conformité. Avec l’édification et la certification aux normes de type ISO 9000, l’entreprise doit être en mesure de rendre compte précisément et à tout moment, auprès de ses fournisseurs vis-à-vis desquels elle s’est engagée, du processus de fabrication du produit. Cela est désigné comme la « traçabilité ».
Mais ce mouvement entraîne principalement une flexibilisation accrue du travail. L’objectif de satisfaire dans les temps les plus brefs les exigences du consommateur oblige une adaptation autant de l’outil de production (équipement et stock) que de la main-d’œuvre.