La sociologie politique
La sociologie politique est longtemps restée une discipline en marge des sciences sociales. Confondue avec la science politique, elle n’avait aucune visibilité institutionnelle. En 1966, Maurice Duverger est le premier à appeler à la nécessité d’une sociologie politique. S’il mentionne que « « science politique » et « sociologie politique » sont synonymes », il précise aussitôt que « l’expression sociologie politique est préférable. Elle marque une volonté plus nette d’employer des méthodes de recherche empiriques et expérimentales au lieu du raisonnement philosophique » . Mais Maurice Duverger, juriste de formation, ne réussit pas à affranchir la sociologie politique du carcan du droit dans lequel elle est enfermée. En 1974, le livre programmatique de Jean-Pierre Cot et Jean-Pierre Mounier, Pour une sociologie politique, marque un nouveau tournant. Les deux auteurs remarquent que la sociologie politique est alors « une science jeune et mal enseignée » et se donnent pour objectif d’étudier le phénomène politique de manière rigoureuse, c’est- à-dire sur les bases scientifiques établies par la sociologie. Aujourd’hui, comme le note le politiste Jean-Baptiste Legavre, « la sociologie politique a “cannibalisé » la science politique » .
Mais qu’est-ce que la sociologie de la politique ? Les termes « la politique » et « le politique » sont-ils identiques ? Ne parle-t-on pas indifféremment de la politique gouvernementale, de la politique budgétaire, de responsables politiques ? A la différence de la langue anglaise, le français n’établit pas de distinction entre les politiques publiques (policy), les luttes politiques désignées comme politiciennes (politics) et l’organisation politique de la société (polity). C’est dire le besoin apparent de donner une définition de ce que nous entendons par « politique ». L’associer au pouvoir ? Ce serait rendre « politique » des phénomènes qui ne le sont pas, comme le pouvoir économique, religieux ou le chef de famille. La rapprocher des conflits sociaux ? Ce serait encore une fois donner une signification politique à des actes et des actions qui ne le sont pas nécessairement. S’il est vain en fait de donner une définition du politique ou de la politique, il est toutefois nécessaire de saisir la spécificité de ce que ces notions recouvrent.
Il s’agira ici de s’intéresser aux grands thèmes débattus en sociologie politique (le pouvoir, l’Etat, les élites, le vote, l’action collective, et les partis politiques) en posant préalablement, avec le politiste Jacques
Lagroye, que cette discipline s’intéresse « à l’ensemble des phénomènes tenus pour politiques, c’est-à-dire qui sont identifiés et reconnus comme tels par des individus ou des groupes d’individus », mais aussi aux « effets politiques des faits sociaux, apparemment étrangers aux activités politiques en tout cas non identifiés comme tels » . Ainsi, pour le politiste, « si l’on admet que la politique est à la fois un ensemble d’activités spécialisées et une dimension pas toujours explicite des rapports sociaux, la sociologie politique se définit par l’intérêt porté à ces aspects de la vie collective et par une méthode : analyser des faits et des comportements – notamment, mais non exclusivement, ceux qui sont habituellement appelés « politiques » – en les comprenant comme une dimension particulière de la vie sociale » . C’est dire autrement que la sociologie politique a pour ambition de traiter les faits politiques comme des faits sociaux dotés d’une logique spécifique, à partir des principes posés par la sociologie.
Le pouvoir
Le terme de pouvoir, que ce soit dans les usages savants ou courants qui peuvent en être faits, est employé dans des sens très divers, proches de ceux de capacité, d’influence, de domination ou d’autorité.
L ’approche relationnelle du pouvoir
L’économiste est amené à désigner le pouvoir d’achat des familles dans le cadre d’une enquête de l’Insee sur l’inflation ou le pouvoir d’une firme multinationale telle General Motors. Le juriste peut l’utiliser pour distinguer les pouvoirs exécutifs, législatifs ou judiciaires. Un historien des médias se charge d’organiser un colloque sur la naissance du quatrième pouvoir, celui de la presse.
Il est possible selon le politiste Philippe Braud , de distinguer trois approches principales du terme de pouvoir.
• Une première approche institutionnaliste identifie le pouvoir aux gouvernants, que ce soit à travers l’idée abstraite d’Etat (avec la notion d’Etat au pouvoir), de gouvernement (avec la distinction entre le « pouvoir » et l’« opposition ») et d’administration (avec la notion cette fois-ci de « pouvoirs publics ») ;
• Une deuxième approche substantialiste consiste à saisir le pouvoir comme une chose que des individus ou des groupes d’individus pourraient posséder ou non ;
• Une troisième approche relationnelle considère le pouvoir non plus comme une substance mais comme une relation sociale asymétrique dans laquelle un individu ou un groupe d’individus exerce un pouvoir sur un ou d’autres individus.
Cette approche relationnelle du pouvoir, qui est celle privilégiée en sociologie, est exprimée par le politologue américain Robert Dahl, pour lequel le pouvoir est « la capacité d’une personne A d’obtenir qu’une personne B fasse quelque chose qu’elle n’aurait pas fait sans l’intervention de A ». Dans ce sens, un chef d’entreprise exerce un pouvoir sur ses employés, un homme politique sur ses collaborateurs ou encore un entraîneur de football sur ses joueurs.
Les traits distinctifs du pouvoir politique
Mais si de nombreuses relations sont des relations de pouvoir, elles n’ont pas toutes une dimension politique. Elles ont cette caractéristique lorsqu’elles reposent sur l’obligation pour ses détenteurs de lier la contrainte et la légitimité.
- Le pouvoir entre contrainte et légitimité
Max Weber a élaboré un ensemble de notions pour appréhender la manière dont un régime politique réussit à imposer son pouvoir, non pas seulement par le recours à la force mais aussi par la légitimité. Il désigne ainsi la puissance comme « toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance » et la domination comme « la chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé » . C’est dire autrement que le pouvoir passe par un consentement à l’obéissance qui repose sur le fait que l’ordre reçu est considéré comme légitime.
- Le monopole de la violence physique légitime sur un territoire donné
Aussi, le pouvoir politique se distingue des autres pouvoirs par son caractère territorial. Le pouvoir ne peut s’exercer que dans un cadre délimité. Mais si cette dimension des groupements politiques est essentielle parmi l’ensemble des groupements de domination, elle n’est pas suffisante. Comme le montre Max Weber, la mise en œuvre de ses règlements sur un territoire donné doit être « garantie de façon continue » par la menace, voire l’emploi « d’une contrainte physique de la part de sa direction administrative » .
Par cette caractéristique, le sociologue allemand veut mettre l’accent sur le mode de régulation propre au pouvoir politique. Il s’agit d’envisager la contrainte comme le recours ultime et ta garantie spécifique de l’ordre instauré par ce pouvoir. Il en résulte qu’en règle générale le contrôle des moyens de violence est étroitement associé au pouvoir politique, ce dernier pouvant être menacé par d’autres unités politiques.