La sociologie du travail
Le travail apparaît comme une valeur centrale dans nos sociétés contemporaines. Aussi, il semble être vécu généralement comme une nécessité à l’accomplissement de soi, mais nombreux sont ceux qui en sont aujourd’hui dépossédés. Si les dimensions socialisatrices et identitaires du travail sont au cœur des réflexions actuelles, elles ne nous intéresseront pas directement. Il s’agira ici d’étudier le travail comme activité productive.
C’est à la fin du XIXe siècle que le travail est soumis pour la première fois à des logiques d’organisation précises dans la société industrielle. Frédéric W. Taylor, ingénieur-conseil américain à la recherche d’une rationalisation productiviste, élabore à partir de 1890 une organisation scientifique du travail. Quelques années plus tard, le constructeur automobile américain Henry Ford s’appuie sur les principes tayloriens pour mettre en place la première chaîne de montage dans ses usines et apporte une innovation qui consiste à susciter la demande, notamment par l’instauration d’une politique salariale avantageuse à l’adresse de ses ouvriers afin qu’ils achètent les voitures qu’ils produisent.
La sociologie du travail naît dans les années 1920 aux Etats-Unis en réaction à ces organisations du travail, qui s’imposent progressivement comme des modèles à suivre dans toutes les usines, avec l’école des relations humaines. Il s’agit pour ce courant de recherche mené par Elton Mayo de montrer, à partir d’expériences réalisées dans les usines d’Hawthome, les limites de la « philosophie » taylorienne du travail et la prédominance des conditions de travail pour maximiser la productivité. Mais les critiques les plus vives du taylorisme et du fordisme viennent de France à partir des années 1950. Le sociologue Georges Friedmann s’attache notamment à mettre en évidence les effets de la diffusion de ces formes d’organisation du travail sur la perte de toute spécificité du métier d’ouvrier qui n’est plus qualifié et qui se résume à l’exécution de tâches répétitives et parcellaires. Reprenant le programme de recherche initié par Georges Friedmann, Alain Touraine inscrit définitivement le travail dans le social et retrace l’histoire de l’industrialisation. Parallèlement à la sociologie du travail, émerge une sociologie des professions qui ne s’intéresse plus uniquement au travail mais aussi au travailleur. D’abord d’inspiration structuro-fonctionna- liste, cette sociologie connaît un véritable essor avec la multiplication d’études de cas réalisées par des sociologues revendiquant une démarche interactionniste.
Les années 1970 marquent un nouveau tournant. La croissance économique est brutalement rompue. Le cercle vertueux du fordisme est remis en cause. Dans cet environnement profondément bouleversé, les
commence à se développer avec le toyotisme, établi au début des années 1960 par le Japonais Taïchi Ohno, alors vice-président du constructeur automobile Toyota. Le toyotisme consiste pour l’entreprise à s’organiser en vue de répondre le plus rapidement possible à la demande des marchés en affichant les coûts les plus faibles. Mais, pour de nombreux sociologues, le toyotisme n’a pas remplacé le taylorisme et le fordisme. Ces différents modes d’organisation du travail se cumulent et redoublent les formes de domination à l’intérieur de l’entreprise. Ces transformations entraînent un intérêt croissant pour l’entreprise en elle-même. Fort des apports de la sociologie des organisations, Renaud Sainsaulieu tente d’élaborer une sociologie de l’entreprise avec l’objectif de sortir l’objet « entreprise » de l’anonymat dans lequel la sociologie du travail l’avait jusque-là confiné.
Aussi, la crise économique a des répercussions sur le marché du travail, à l’intérieur duquel non seulement le statut de salarié est remis en cause avec l’apparition dans les années 1980 de nouvelles formes d’emploi précaires (contrat à durée déterminée, temps partiel, intérim, stages) mais aussi et surtout le chômage, jusqu’alors marginal, qui connaît une hausse exponentielle. Ces répercussions poussent des sociologues à s’intéresser à ces nouveaux phénomènes.