La présentation du démarache sociologie
L’observation participante consiste pour le chercheur à se rendre sur le terrain, au contact direct de la population qu’il étudie. Il est confronté à une double interrogation : comment retirer pleinement profit de cette situation où il cherche à obtenir des informations de ceux qu’il observe ? Comment va-t-il se présenter à eux ? Tout l’enjeu pour le chercheur est alors de se mettre dans une disposition qui lui permette de se faire accepter des indigènes.
I se doit de considérer que cette situation (solliciter la participation à la vie d’un groupe, que ce soit quelques instants, de manière épisodique ou sur une plus longue durée), produit nécessairement des effets sur son objet de recherche. C’est dire autrement qu’il ne peut faire comme s’il était dans une situation sociale de neutralité où il ne ferait qu’enregistrer ce qu’il voit ou entend. Le sociologue est en fait dans une situation « où il se sait observé en même temps qu’il observe » ».
La présentation de soi
La première difficulté pour le sociologue est de se présenter auprès des personnes sur lesquelles il travaille. Est-il contraint de se présenter comme tel ? Comme le rappelle Jean-Claude Chamboredon, si ne pas faire état de son statut peut être vécu par l’enquêteur lui-même comme
contraire .mes règles élémentaires de déontologie, il est parfois dans
L’obligation soit de tricher quelque peu sut son identique de la dis simuler complètement, sous peine de ne pas pouvoir réaliser son enquête.
Des chercheurs ont réalisé des enquêtes sur des milieux sociaux en ne dévoilant pas leur statut. C’est le cas d’Erving Goffman, dans son étude sur un hôpital psychiatrique (Asiles), connu comme sociologue uniquement par les supérieurs hiérarchiques. En fait le chercheur doit estimer au cas par cas si, comme Jean-Claude Combessie le précise, « la valeur de la connaissance acquise l’emporte sur le caractère « répréhensible » de la dissimulation »12. Le sociologue aura donc à prendre une décision stratégique quant à révéler son identité ou non.
Contrôler le regard des enquêtés
Le chercheur est obligé non seulement de faire un travail à la fois de présentation de soi, mais aussi de contrôle de la perception que ceux qu’il l’observe ont de lui.
Dans ce sens, il doit savoir que la première perception des membres du groupe observé sera influencée par ses caractéristiques biologiques et sociales plus ou moins visibles : son âge, son sexe, sa tenue vestimentaire, la manière de tenir son corps. Mais le sociologue peut être aussi appréhendé comme un point d’appui pour livrer un témoignage. Dans tous les cas, le sociologue devra multiplier ses efforts pour rendre la situation la plus familière possible afin de créer les conditions de confiance qui permettront aux enquêtés de se livrer sans retenue ou calcul.
Monique Pinçon-Chariot et Michel Pinçon dans leur journal d’enquête consacré à la grande bourgeoisie13, rapportent que lors des chasses à courre la présence des suiveurs à pied, à vélo ou en voiture, a été un élément déterminant pour imposer leur présence. En effet, même s’ils s’étaient présentés comme sociologues, et étaient connus comme tels par tous, ils pouvaient lors de ces manifestations se mêler facilement aux autres personnes présentes, tout en étant dans une position d’observation idéale. Et ils insistent sur le fait que s’ils n’avaient pas pu faire ce travail d’observation au plus près, ils seraient très certainement passés « à côté d’une des principales conclusions de cette recherche. La chasse à courre est un « fait social total » qui met en branle la totalité de la société et de ses institutions ». Et ils ajoutent : « il s’agit d’une mise en scène sur un mode symbolique de la maniéré dont les individus se représentent le fonctionnement social .
Comment recueillir des informations en situation d’observation ?
Le recueil d’informations en situation d’observation consiste à tenir un journal de terrain. Le sociologue note dès qu’il le peut avec précision tout ce qu’il voit ou ressent, sans avoir, dans un premier temps, un souci d’ordre ou de construction. D’autres moyens peuvent être utilisés : le magnétophone ou l’appareil photo (moyens plus lourds à gérer dans une situation d’observation). Ce n’est que dans un second temps, à « froid » qu’il reprend ses notes, ses bandes sons ou ses photographies, pour les analyser.
I o sociologue doit avoir une idée précise de ce qu’il souhaite observer avant de se rendre sur le lieu même de l’observation. Il élabore un plan d’observation à mener en des lieux et des moments différents, en fonction de ses hypothèses, c’est-à-dire de ce qu’il cherche à démontrer. jean-Claude Combessie cite l’exemple suivant : dans le cas de l’observation d’une « situation pédagogique (…) il faut observer et noter la disposition de la salle et son équipement, la place occupée par chaque élève, la relation entre l’ordre d’entrée et la place occupée, la présence ou l’absence de conversations et la nature des activités avant l’ouverture du cours proprement dit, les changements induits ou non par la première prise de parole de l’enseignant (…). Elle se traduira par des croquis ou plans de salle, par l’élaboration de codes commodes pour identifier rapidement les intervenants et leurs attitudes »14.
Comment se servir des informations recueillies en situation d’observation ?
Le chercheur doit déterminer tout d’abord ce qu’il est en mesure, dans le cadre de son enquête, de soumettre aux personnes qu’il étudie et ensuite de rendre public.
Si le sociologue a obtenu de la part d’enquêtés des informations en contrepartie de la garantie de préserver leur anonymat, il est contraint de ne pas citer expressément le nom de ces personnes. Et c’est même dans son intérêt de ne pas le faire, sous peine de ne plus jamais pouvoir accéder à ces personnes qui ne lui accorderaient plus leur confiance. Le sociologue a alors recours à des formulations lui permettant de qualifier cette personne à un niveau de généralité tel que la valeur démonstrative des informations recueillies soit préservée. Il s’efforce en fait de rester le plus explicite possible ‘sans que les lecteurs puisse savoir précisément de qui il s’agit. Par exemple, au lieu d’évoquer Hervé Cattegno, rédacteur en chef actuel de la position « France » du journal Le Monde, il le désignera comme étant M X, rédacteur en chef dans un grand quotidien français, autrement dit par une formulation assez large pour pouvoir être comprise du lecteur sans dévoiler son identité.
Le sociologue doit aussi mener une réflexion sur l’usage qu’il est amené à faire de ce qu’il enregistre. Le cas des observations entreprises par Monique Pinçon-Chariot et Michel Pinçon sur la grande bourgeoisie est particulièrement éclairant. Ils se demandent si en s’intéressant aux pratiques de ces acteurs, qui placent au cœur de leur vie sociale le travail de présentation d’eux-mêmes, ils ne font pas qu’observer une « mascarade sociale qui mettrait délibérément en scène une image de soi socialement construite, une vitrine jugée utile et favorable aux intérêts du groupe »15.
Si les deux sociologues veulent utiliser les informations recueillies dans le cadre de leurs observations, celles-ci doivent être :
• situées tout d’abord dans le contexte d’interaction spécifique dans lequel elles sont énoncées ;
• mises en rapport ensuite avec tous les documents disponibles sur le sujet de façon qu’elles ne soient pas considérées que comme un élément supplémentaire du travail d’expérimentation ;
• considérées enfin comme une objectivation de ce que les acteurs font et disent d’eux-mêmes.
Ce que le sociologue perçoit a priori comme une stratégie peut être vécu par ceux qui les exécutent comme quelque chose de très normale. Monique Pinçon-Chariot et Michel Pinçon citent l’exemple du baisemain qui «surprend ou agresse ceux qui n’en ont jamais appris l’usage »16 mais représente un signe fort de l’identité du groupe des grands bourgeois.
Ainsi, le chercheur dans sa position d’observateur doit se donner les moyens de l’objectivation autant pour ne pas enregistrer les pratiques des acteurs analysés telles qu’elles se présentent à lui, que pour ne pas être freiné par ses propres préjugés ou méconnaissances sur ces pratiques.
Les conditions de l’observation
Le travail d’objectivation sur les conditions de l’observation diffère selon le rapport (pins ou moins direct) de l’enquêteur avec les enquêtés. De la position où le sociologue est en retrait à celle où il s’engage ouvertement et activement dans l’interaction, toutes les formes de participation sont envisageables.
S’il souhaite rester incognito, le sociologue peut participer à une observation (même participante) tout en restant non connu des personnes dont il est en présence. Cette situation permet au sociologue de faire l’économie d’une justification de l’intérêt qu’il porte aux personnes étudiées et des conséquences induites par cette justification.
Le sociologue peut aussi se mêler au public enquêté et profiter d’une manifestation exceptionnelle pour recueillir de nombreuses observations. Il risque de se retrouver subitement devant un très grand nombre d’informations à gérer. Il doit alors avoir recours à tous les outils qui lui permettront d’accumuler les informations : le carnet de notes, l’appareil photographique, le magnétophone. Mais il ne faut pas qu’il note tout ce qu’il voit ou perçoit de manière frénétique. Pour ne pas céder à cette boulimie, l’enquêteur doit ramener les pratiques à sa problématique et à ses hypothèses de travail. L’acceptation du sociologue par le groupe dépend étroitement de sa capacité à intégrer les codes dominants propres à ce groupe. Monique Pinçon-Chariot et Michel Pinçon ont ainsi pu participer à la soirée des joailliers de la place Vendôme parce que non seulement ils s’étaient habillés de la même façon que les membres de la haute société, pour naviguer d’un buffet à l’autre et ainsi se trouver en situation d’observation idéale, mais aussi parce qu’ils se présentaient en couple et donc sous les allures de personnes présentant tous les signes de la normalité, dans ce milieu où la famille est représentée comme une vertu cardinale.
L’observateur peut se retrouver enfin dans une situation où il est lui- même sollicité par les personnes sur lesquelles il travaille. S’il est alors très difficile, voire impossible dans ce cas de figure, de se mettre dans une posture d’enquête habituelle, c’est l’occasion pour l’enquêteur de partager le plus naturellement leurs expériences de vie. Monique Pinçon-Chariot et Michel Pinçon avouent avoir pleinement compris le rôle de l’étiquette, comme ayant une fin en soi dans la haute société, qu’après de nombreuses invitations à dîner avec les membres du groupe enquêté. L’observation participante part du principe qu’il n’est pas possible de ressentir le sens pris par certaines pratiques sans avoir participé soi-même à ces pratiques.
La richesse de l’observation in situ repose sur le fait qu’elle permet de vivre dans des conditions identiques à celles des acteurs étudiés et, par là même, elle est un moyen de ne pas amener ces derniers à parler de manière forcée comme cela peut être le cas pour l’entretien. C’est une méthode qui permet d’obtenir une information de première main en vue de comprendre les phénomènes étudiés.